Oui ou non, l'Union européenne finance-t-elle Arafat depuis des années en sachant qu'il détourne ses aides ?
Une enquête troublante de deux journalistes allemands provoque un tollé au Parlement européen de Strasbourg
Par Kleine-Brockhoff et Bruno Schirra
L'argent des contribuables européens a-t-il servi à payer les tonnes d'armes saisies sur le Karine-A, à financer le système scolaire palestinien, la logistique des attentats-suicides commis par les Brigades des Martyrs d'Al-Aqsa - déclarées aujourd'hui même ainsi que le FPLP organisations terroristes à Luxembourg ? Sur ces questions, Chris Patten devra s'expliquer le 19 juin à Bruxelles. Dès maintenant, nous publions le très long article de nos confrères allemands paru dans « Die Zeit », le grand quotidien allemand. Leur enquête est dévastatrice.
À la Mosquée Sheikh'Ijlin, dans la ville de Gaza, 500 hommes et jeunes garçons se sont rassemblés pour la prière du vendredi. Ils écoutent Sheikh Ibrahim Madh, l'imam de la mosquée. Nous sommes le 12 avril 2002 et l'imam évoque la situation de la nation palestinienne :
« Nous croyons en la victoire d'Allah. Nous croyons qu'un jour, nous entrerons à Jérusalem en conquérants, à Jaffa en conquérants, à Haïfa en conquérants, à Ramallah, Lod et dans toute la Palestine, exactement comme Allah nous en a donné la mission... Celui qui n'a pas été touché par la grâce du martyre, aujourd'hui, doit se réveiller la nuit et se demander : ''Ô, mon Dieu, pourquoi m'as-tu privé d'une mort de martyr à ta gloire ?'' C'est écrit dans les commentaires du Hadith : les juifs vous combattront, mais vous avez été choisis pour les vaincre. Et si les juifs se cachent derrière des arbres ou des rochers, les arbres et les rochers s'exclameront :''Oh ! Musulman ! Oh ! Serviteur d'Allah !
Un juif se cache derrière moi, viens et tue-le !'' Ô Allah, accepte-nous dans ton Paradis comme martyrs ! Ô Allah, impose un jour de ténèbres aux Juifs ! Ô Allah, efface les juifs et leurs protecteurs de la surface de la terre ! Ô Allah, hisse le drapeau de la Guerre Sainte à travers le pays tout entier ! Ô Allah, pardonne-nous nos péchés. »
C'est au nom de l'Autorité palestinienne qui le rémunère que l'imam prononce ces mots. Ses discours doivent être préalablement autorisés par l'Autorité de Yasser Arafat. « PA-TV », la chaîne de télévision de l'Autorité palestinienne retransmet le sermon le jour même. Et cette émission spécifique, comme toute la chaîne d'Arafat, est financée depuis des années par l'Union européenne. Officiellement, le but des subsides est « la promotion de la création d'un système d'information pluraliste et transparent, premier pas vers une société palestinienne démocratique. » « PA-TV » peut remercier les contribuables européens pour pratiquement tout : la cantine, les véhicules équipés, les émetteurs, les cours de formation des journalistes... « PA-TV » peut même remercier Bruxelles d'avoir financé la reconstruction des tours supportant les émetteurs après les attaques israéliennes.
Les émissions de la chaîne de télévision qui dépend de l'argent européen ne se limitent pas aux sermons et aux jours saints du calendrier musulman. Quiconque s'intéresse aux différentes variantes de l'antisémitisme peut se procurer les retranscriptions de MEMRI, l'institut de recherche sur les médias du Moyen-Orient) par e.mail auprès de http://www.memri.org/.
Les analystes des médias occidentaux déplorent depuis déjà un certain temps la façon dont les élites religieuses et politiques de l'entourage d'Arafat font, dans ces émissions, de la guerre contre les juifs un devoir éternel ; et aussi le fait que le 3 septembre 2000 soit considéré comme un grand jour pour les Palestiniens : en grande pompe, quelques semaines seulement avant le déclenchement de la deuxième Intifada, une étape supplémentaire vers l'établissement d'un État était célébrée. Nalm Abou Houmus, le ministre de l'Éducation, invita à son ministère, à Ramallah, des diplomates, des élèves et des professeurs pour une cérémonie d'inauguration : la découverte des nouveaux manuels scolaires écrits par des Palestiniens pour les Palestiniens. « Un rêve de mon peuple est en train de se réaliser », dit Abou Houmus en remettant les livres entre les mains d'élèves du cours élémentaire à la 6ème. « Dorénavant, nous enseignerons la vérité. »
Dans les manuels scolaires palestiniens, entièrement financés par l'UE, la Palestine s'étend du Jourdain à la Méditerranée
Un grand jour aussi pour les Européens. Ils savent que les livres peuvent être des armes. C'est pourquoi l'aide à l'éducation était un élément clé du dispositif de paix européen en Palestine. Dans le système éducatif palestinien, rien ne fonctionne sans l'Europe. Les bâtiments, les salaires, et même les manuels scolaires ont été financés par Bruxelles pour un montant qui excède les 300 millions d'euros depuis les accords d'Oslo en 1993. De plus, l'impression même des livres de classe a été financée par l'Europe des Six, sous coordination italienne. Les Palestiniens avaient donné aux Six l'assurance qu'ils pourraient examiner le contenu des livres à l'avance. Mais, le moment venu, les Palestiniens n'ont pas tenu leurs promesses. Satisfaits que les anciens livres ouvertement antisémites soient remplacés, les Italiens eurent la courtoisie de passer sous silence la violation de cet accord.
A peine les livres furent-ils rendus publics qu'une volée de critiques s'éleva chez les spécialistes occidentaux : en dépit d'un certain progrès lié au ton plus moderne, tout lecteur de ces livres devait admettre que l'idée de paix n'y figurait nulle part. Il n'était fait mention ni du processus de paix, ni des accords d'Oslo.
Il est vrai qu'on trouvait des appels à la tolérance religieuse, mais ils ne concernaient que les musulmans et les chrétiens, les juifs n'étant mentionnés que dans un contexte historique. Leur lien avec la Terre Sainte était limité à l'Antiquité. La réinstallation d'une population juive (fin du 19ème siècle, début du 20ème ) était appelée « infiltration ». Il n'y avait pas d'incitation explicite au terrorisme, bien que les « Martyrs palestiniens » fussent glorifiés, comme par exemple « l'Ingénieur Ayyash », qui organisa des attentats-suicides dans les années 1990 et qui causa la mort de dizaines d'Israéliens. L'État d'Israël n'existait pas, n'était mentionné sur aucune carte. À la place, on trouvait des termes comme « ligne verte », « l'intérieur du pays », « le pays de 1948 ». Les villes fondées par les Israéliens, comme Tel-Aviv, n'étaient pas mentionnées. À l'inverse, le nom de Palestine, associé au blason de l'Autorité d'Arafat, apparaissait partout, y compris sur la couverture des livres. Cet État s'étendait du Jourdain à la Méditerranée.
Abou Houmus, le ministre de l'Éducation palestinienne, justifia ainsi devant le « Los Angeles Times » la disparition de l'État d'Israël des manuels scolaires : « Les frontières définitives d'Israël n'ont pas encore été définies. Quand cela sera fait, nous procéderons comme nous le dira le gouvernement. Pour l'instant, nous laissons cela aux politiciens. » Il continua en expliquant qu'ils utilisaient les cartes en usage dans le monde arabe, et qu'on ajouterait des chapitres sur la paix avec Israël dès qu'un traité de paix définitif aurait été signé. En d'autres termes, un programme de guerre avait été introduit en 2000.
La controverse sur les manuels scolaires atteignit l'Europe quelques semaines plus tard. Le 15 novembre 2000, François Zimeray, député européen socialiste français, posa une question devant la Commission européenne. Il voulait savoir pour quelle raison elle finançait « un système éducatif où les manuels scolaires étaient des manifestes antisémites relevant des « lois sur l'incitation à la haine raciale » dans tous les pays de l'Union européenne ». Le parlementaire européen demanda également quelle sorte de contrôle exerçait l'Union européenne. Chris Patten, Commissaire aux Affaires étrangères, répondit que L'UE ne finançait pas l'impression des livres de classes. Cette formulation était techniquement exacte, mais cela n'en était pas moins une échappatoire. Bien que l'UE ne puisse exercer une influence directe sur les actions de six de ses États membres, en tant que membre du « donor forum » (organisme donateur) international, elle finançait bien la commission des manuels scolaires palestiniens, de même que de nombreux professeurs. L'Union européenne était-elle donc indifférente au contenu de l'enseignement donné par professeurs payés par elle ?
Le député Zimeray n'abandonna pas la partie et attaqua le Commissaire européen : « Je vous ai posé des questions précises sur un sujet important. Allez-vous, oui ou non, conditionner les aides financières de l'UE au respect des droits de l'homme ? » La réponse de Patten fut : « Nous évoquerons ce sujet avec les Palestiniens. »
Dans le but d'observer les progrès qui avaient été faits, le parlementaire européen CDU (Union des Démocrates Chrétiens allemands) Armin Laschet se rendit chez Arafat en juillet 2001. Ses conclusions furent qu'aucun changement n'avait eu lieu : personne n'avait modifié le nouveau matériel pédagogique. Pire encore, les anciens livres antisémites avaient été réimprimés, avec l'aide des nations européennes dont les noms figuraient sur la couverture. Armin Laschet interrogea directement Yasser Arafat. Mais Arafat lui répondit qu'il ne voyait aucune raison pour modifier les nouveaux livres et qu'il n'avait pas plus d'argent pour remplacer les anciens. Mais Arafat oublia de préciser que le gouvernement américain lui avait déjà proposé depuis longtemps de financer le remplacement immédiat et total des manuels scolaires. Cette offre avait été rejetée par Arafat qui préférait rééditer une version légèrement adoucie des anciens livres de combat avec l'aide des malléables Européens.
Les socialistes ont refusé de soutenir la proposition d'un député européen qui demandait au PE, en juillet 2001, de suspendre son aide à des manuels scolaires antisémites
Furieux, Laschet quitta Arafat et essaya d'obtenir du Parlement européen qu'il suspende le soutien au travail éducatif « jusqu'à modification des manuels scolaires ». Il manqua deux voix à sa proposition pour être adoptée par la session plénière du Parlement. Les socialistes lui refusèrent leur soutien, tout comme les députés de plusieurs partis aux Pays-Bas, en Irlande et en Scandinavie. Cette coalition ne voulait pas exercer de pression sur ce qui se présentait comme le grand espoir européen au Moyen-Orient. Cet espoir ne faiblit pas lorsqu'il devint de plus en plus évident qu'Arafat ne voulait plus de la paix qui était une condition préalable à tout soutien. Personne n'envisagea de réagir quand les propres brigades d'Arafat, les Brigades des Martyrs d'Al Aqsa continuèrent de faire sauter des Israéliens. La crédulité, la naïveté et l'indulgence des Européens se révélaient illimitées.
Apparemment, rien n'avait changé pour eux depuis ces jours de l'automne 1993, à Oslo, où le monde commençait à se laisser aller à l'espoir d'une paix en Terre Sainte après un siècle de guerre. À cette époque, lors de la première conférence des donateurs, les Européens et les Arabes s'étaient mis d'accord pour aider l'État naissant. Les Européens prirent leur devoir au sérieux, aussi sérieusement qu'ils n'avaient jusqu'alors traité que les subventions agricoles. Depuis, la somme colossale d'au moins 4,1 milliards d'euros a été envoyée en Palestine, sans compter les donations faites à titre individuel par certains États membres. Parce que les inventeurs de l'incitation à la paix craignaient que l'argent n'entraîne de l'avidité chez les récipiendaires, ils mirent au point une approche par « assistance à des projets ». L'utilisation de ces aides serait contrôlée plus strictement que les versements budgétaires habituels. Pratiquement toutes les nouvelles infrastructures (écoles, hôpitaux, aéroports) seraient financés par Bruxelles. L'UE remplirait aussi la cassette personnelle d'Arafat , bien que de tels dons soient affectés à des objectifs particuliers. Cet argent était destiné aux salaires des fonctionnaires tels les policiers ou les professeurs.
Quand la seconde Intifada fut déclenchée, à l'automne 2000, Israël interrompit tous ses versements aux Palestiniens. Pendant des années, ils avaient dévolu une partie de leurs taxes d'importation à l'Autorité palestinienne d'Arafat. Maintenant, le nouveau gouvernement d'Ariel Sharon croyait qu'Arafat non seulement ne réprimait pas l'Intifada mais qu'à l'inverse il l'alimentait et tolérait et encourageait les nouvelles séries d'attentats-suicides contre Israël. Les Européens voyaient la situation d'un autre œil. Pour eux, c'était Sharon qui avait déclenché l'Intifada par sa visite provocatrice au Mont du Temple.
C'est la raison pour laquelle l'Union européenne prit une décision lourde de conséquences. Elle se substituerait à Israël et, à partir de juillet 2001, allouerait à l'Autorité palestinienne un budget mensuel d'assistance de 10 millions d'euros, sous forme d'allocatio et non plus comme « assistance à projets ». Selon les déclarations du commissaire européen Chris Patten, cela représenta une « importante contribution » pour éviter « la chute éventuelle dans l'anarchie, le chaos et la pauvreté. » L'argent était destiné à payer les « besoins publics primaires » et donc « l'éducation, la santé, la police et les salaires des fonctionnaires. » Yasser Arafat a-t-il ainsi utilisé cet argent ?
2200 kilos d'explosifs trouvés dans le Karina-A, soit 5 fois le poids total de toutes les bombes utilisées dans les attentats-suicides en Israël
Au début de l'été 2001, alors que les Européens décidaient de lui offrir un soutien direct, Arafat, derrière leur dos, prit une décision différente. Le monde ne prit connaissance de cette décision que quelques mois plus tard, le 3 janvier 2002.
A cette date, le chef d'État-major israélien, Shaul Mofaz, était assis dans un véhicule militaire en un point dominant la Mer Rouge qu'il observait à travers des jumelles spéciales. Loin au-dessous de lui voguait un cargo bleu rouillé. Cela faisait trois mois que les services de renseignement observaient ce navire. Mais à ce moment-là, Mofaz se sentit nerveux. Il regarda dans ses jumelles jusqu'à ce que l'inscription figurant sur le flanc du bateau soit lisible : Karina-A.
Alors qu'il donna l'ordre de déclencher l'opération. En quelques minutes, un commando de la marine avait pris le bateau d'assaut. Pas un coup de feu n'avait été tiré. Robert Satloff, un expert du Moyen-Orient du « Washington Institute for Near East Policy » (Institut pour la politique au Proche Orient) effectua une reconstitution du déroulement des événements dans ce trafic d'armes qui fut publié dans la revue « The National Interest » (dont nous nous sommes largement inspirés).
Dissimulés sous des caisses contenant des vêtements bon marché et des lunettes de soleil, les soldats découvrirent des armes et des explosifs dans des containers étanches, en quantité suffisante pour équiper une petite armée : des missiles avec une portée de 20 kilomètres, des grenades, des mitraillettes, des mines, des armes anti-chars. Et assez d'explosif C4 pour armer 300 auteurs d'attentats-suicides : 2200 kilos, soit 5 fois le poids total de toutes les bombes utilisées dans des attentats-suicides en Israël depuis sa création.
Pourtant, ce qui choqua le Moyen-Orient n'était pas la quantité d'armes, mais leur provenance et leur destination. Le Karina-A venait d'Iran et les armes étaient destinées à la Bande de Gaza, de l'aveu même du capitaine fait prisonnier. Les Israéliens furent ravis de faire répéter ses aveux au capitaine devant les journalistes du « New York Times » et de la « Fox TV ». Dans une interview, l'homme (nommé Omar Akawi) donna également le nom de son commanditaire : l'Autorité palestinienne. « Ils m'ont dit que c'était des armes pour la Palestine », raconta Akawi. « En tant qu'officier palestinien, je fais ce qu'on me dit de faire. » Entre-temps, les représentants du gouvernement américain et du Parlement européen avaient, eux aussi, examiné les preuves et confirmé la version israélienne.
Avec quel argent Arafat a-t-il payé la cargaison du Karina-A ? Mystère. On peut seulement remarquer que l'Union européenne finançait alors 10% de son budget courant et 50% des subventions globales accordées à l'AP
L'ordre d'acheter de telles armes avait marqué un tournant dans la stratégie de Yasser Arafat qui passait d'une résolution pacifique du conflit à une issue guerrière. Ce tournant s'effectua pendant la période même où l'Europe plaçait sa confiance la plus grande dans le Prix Nobel de la Paix, Arafat, et lui attribuait des fonds versés directement. Avec quoi Arafat paya-t-il les dix millions de dollars que valait la cargaison du Karina-A demeure l'un des mystères de cette affaire. Il n'existe pas de preuve que l'Europe ait payé ces armes destinées à être utilisées contre Israël. Quiconque trouve cela rassurant devrait se livrer à un petit calcul de probabilités : à l'époque du trafic d'armes, l'Europe fournissait 10% du budget courant d'Arafat et 50% de toutes les subventions. En dehors des Européens, Arafat n'avait que deux sources de financement : les subventions substantielles des États arabes et la part insignifiante des taxes. Alors, quelle est la probabilité qu'Arafat n'ait pas souillé la réputation de l'Europe ?
Le commissaire européen Chris Patten chante les louanges de l'Europe, et spécialement pour ses « mécanismes pointus de pré-contrôles et de post-contrôles. » Chaque mois, dit-il, les inspecteurs vérifient que l'argent du mois précédent a bien été dépensé comme il devait l'être, avant de transférer de nouveaux fonds. Le budget doit être complètement transparent pour l'Union européenne, les rallonges budgétaires sont interdites.
Il est alors surprenant de voir avec quelle facilité Arafat a réussi à faire passer un plein chargement d'armes à travers ce contrôle budgétaire.
C'est le FMI qui contrôle le versement des aides de l'UE aux Palestiniens. Mais l'homme qui contrôle ces versements est lui-même un Palestinien proche d'Arafat
Si l'on en croit l'Union Européenne, le contrôle sur le versement des aides à la Palestine existe vraiment : c'est le FMI (Fonds Monétaire International). Le commissaire européen Chris Patten écrit que le FMI procède à un contrôle strict des paiements et émet une déclaration mensuelle de ratification. Ce travail est effectué pour le FMI par Karim Nashashibi. Il vit à Jérusalem. Cet homme qui, d'après Patten est supposé vérifier les comptes de l'Autorité Palestinienne est lui-même Palestinien. Il vient du même clan et porte les mêmes patronymes que celui qui fut longtemps le ministre des Finances de Yasser Arafat. Il a même été sur le point d'entamer une carrière politique avec Arafat : jusqu'à très récemment, l'homme du FMI était pressenti pour devenir le prochain ministre des Finances d'Arafat. Mais le vent a tourné. Le conseiller financier d'Arafat, Fuad Shoubaki, l'homme qui a acheté le Karina-A, est fier d'appeler le représentant du FMI Nashashibi « son ami ».
Cependant, il y a tout lieu de soupçonner cet ami qui est aussi officiellement un contrôleur. « Nous ne gardons pas trace de la façon dont est dépensé chaque euro parce que nous effectuions des contrôles, pas des audits ». Le FMI, explique-t-il, se contente de vérifier que les fonds sont bien affectés au bon département dans les quantités prévues au budget. Le FMI à Washington ne voit pas les choses différemment. « Nous n'avons pas de mandat pour auditer », disent les officiels là-bas. « Nous aidons simplement à établir le budget prévisionnel de l'Autorité palestinienne. » Si c'est vrai, alors jusqu'à présent, les Palestiniens se sont contrôlés eux -mêmes, autant dire pas du tout.
Ce qui se présente maintenant comme une grande surprise pour les politiciens européens est pourtant inscrit de longue date dans la politique d'Arafat. Des témoins palestiniens commencent peu à peu à rompre le silence. Ils racontent (tout en souhaitant garder l'anonymat) les réunions de définition stratégique de l'Autorité palestinienne. Ces réunions ont commencé avant même le déclenchement de la deuxième Intifada, à l'automne 2000, et se sont apparemment achevées avec la recommandation de soutenir le terrorisme.
L'une de ces réunions a eu lieu en février 2001, peu avant l'élection israélienne. Elle s'est tenue à la Maison de l'Orient, à Jérusalem. Deux scenarii du futur y ont été discutés. Première option : les gens d'Arafat soutiendraient le soulèvement contrôlé. A ce moment, l'Intifada durait depuis 5 mois, avec des pierres, des tirs à balles, avec des morts. Au tout début, Yasser Arafat avait relâché des assassins présumés qui avaient été arrêtés, montrant qu'il tolérait la terreur radicale et qu'il avait l'intention d'en jouer. Une stratégie de meurtre et en même temps de retenue, en n'utilisant ses supporters que dans les territoires occupés. Finalement, le Premier ministre israélien, à bout de nerfs, serait obligé d'en arriver à un compromis.
Provoquer Sharon, telle a été la stratégie élaborée par les Palestiniens afin de provoquer un massacre et d'appliquer « le modèle Kosovo »
« Pas si Sharon est élu », firent valoir les adeptes de la deuxième option. Ils proposèrent une analyse différente, présumée plus moderne de la situation. Parce que Sharon Premier ministre ne proposerait jamais plus que ce qu'avait offert son prédécesseur Ehoud Barak un an plus tôt, pendant les négociations de Camp David. Ce dont on avait besoin était une guerre. N'avait-on pas constaté, au cours des mois qui venaient de s'écouler qu'Israël pouvait être vaincu ? C'était l'interprétation que faisait ce groupe du retrait israélien du Liban. Les Israéliens ne savent pas souffrir et ils ne toléreront pas des pertes continuelles, fut-il expliqué. L'invisible auteur d'attentat suicide est l'arme qui frappera au cœur cette société occidentalisée déclinante. Pour les partisans de cette stratégie, un faucon comme Premier ministre israélien était de loin la meilleure solution. Si on arrivait à le provoquer suffisamment, il répliquerait avec brutalité. Les troupes personnelles d'Arafat, les Brigades des Martyrs d'Al-Aqsa, se tenaient prêtes. À ce moment, un cynique, élevé dans la hiérarchie de l'Autorité palestinienne déclara : « il faut espérer que Sharon va se livrer à un vrai massacre ». Après tout, cela permettrait d'appliquer l e « modèle Kosovo ». Le monde entier, fou furieux après Israël se précipiterait à leur aide. A la fin, il y aurait des troupes internationales stationnées en Terre Sainte pour protéger le nouvel État Palestinien. Apparemment, même des Palestiniens jusque-là considérés comme modérés se laissèrent séduire par ce tragique délire.
Les Israéliens disent aujourd'hui qu'ils peuvent produire des preuves tangibles qu'au printemps 2001 Yasser Arafat avait pris la tête de ce mouvement et adopté ce fantasme comme stratégie. Des documents ont été découverts quand les tanks israéliens se sont frayé un chemin à travers les territoires occupés après une série d'attentats meurtriers, laissant derrière eux des ruines et des cadavres, et occupant les postes de police, les bâtiments administratifs et le Quartier général de Yasser Arafat. Aujourd'hui, les documents, empilés dans des caisses, sont conservés dans des entrepôts. Des équipes nombreuses analysent des millions de pages et des Gigaoctets de données. L'armée israélienne a rendu publics certains de ces documents en les mettant sur Internet et en a fourni d'autres à la presse, pour convaincre le monde entier.
Le 21 mars 2001 fut une de ces journées horribles auxquelles il est impossible de s'habituer. La bombe explosa au cœur de Jérusalem Ouest, sur l'avenue King George. Le coupable était un jeune homme, un Arabe, qui avait paru suspect aux passants. Ils prévinrent la police et il se toucha l'abdomen : trop tard ! L'assassin et trois victimes gisaient, mortes, auprès de 70 blessés.
Le rituel politique commença aussitôt. Les Brigades des Martyrs d'Al-Aqsa, dépendant d'Arafat, revendiquèrent l'attentat. Les polices israélienne et palestinienne se réunirent pour des consultations. Le Secrétaire d'État américain, Colin Powell, appela Arafat et exigea qu'il prenne des mesures fermes contre les terroristes. Le leader palestinien répondit qu'il appréhenderait les gens qui étaient derrière cet attentat. Selon les documents découverts ultérieurement au QG d'Arafat et dans les bureaux des services de renseignement de Tulkarem et de Naplouse, c'est lui-même que le leader palestinien aurait du, à ce moment-là, arrêter.
« SVP, transférez la somme de 2000 dollars à chacun des frères d'armes suivants ». Destinataire de la demande : Yasser Arafat
L'histoire de cet attentat est décrite dans une quantité de papiers qui sont de nature à semer un doute sérieux sur l'image populaire de l'auteur d'attentats- suicides. Ce n'était en aucun cas un jeune homme en colère que l'humiliation de l'oppression, de l'occupation et de la pauvreté ont fini par faire disjoncter. À l'inverse, il s'avère que cette action a été soigneusement préparée, qu'elle a été menée après des mois de préparation par une cellule terroriste qui obéissait à des ordres. Ceux qui y travaillaient en coulisse étaient les satrapes d'Arafat, qui avaient fait de l'opération tout entière un processus bureaucratique et qui se battaient entre eux pour le droit d'envoyer le martyr sur la route du Paradis.
L'homme choisi pour mener à bien cette mission s'appelait Mohammad Hashalkh et venait des faubourgs de Naplouse. Il avait 21 ans et était policier de l'Autorité palestinienne. Les préparations furent effectuées par deux soi-disant officiers de liaison, Nasser Ash-Shawish et Mohammed Ka'abina, tous deux âgés d'un peu moins de 30 ans, tous deux originaires de Naplouse, l'un des deux employé dans l'un des services de renseignements d'Arafat, l'autre membre du Jihad islamique. Les instructions provenaient de l'un des treize services de renseignements d'Arafat, que le fait d'utiliser un membre de la faction concurrente islamiste, ne semblait pas gêner.
Le groupe fut découvert pendant les mois de préparation par un autre des services de renseignements de l'empire d'Arafat. Son agent écrivit un rapport le 2 décembre 2001. Après cela, il ordonna que trois des membres de la cellule d'activistes soient arrêtés pour interrogatoire. Il reçut l'ordre de relâcher les trois hommes mais de continuer à les surveiller, apparemment pour utiliser les services des terroristes, ultérieurement, pour ses propres objectifs. C'est ainsi qu'il raccompagna le futur martyr chez lui, but avec lui le thé et examina sa ceinture d'explosifs.
Le 8 février 2002, le moment de la mort du martyr sembla être arrivé. On lui ordonna de se rendre à Tulkarem. Avec la ceinture d'explosifs autour de la taille, il attendit l'ordre d'agir, mais rien ne vint. Il est vraisemblable que les différents services de renseignements ne réussirent pas à se mettre d'accord sur celui qui dirigerait les opérations. Au lieu de renvoyer le terroriste chez lui, un des services l'appréhenda. Il fut amené à Ramallah. Pendant ce temps, Yasser Arafat s'était impliqué personnellement. Lors d'une conversation téléphonique avec les Israéliens, il glosa sur sa lutte contre le terrorisme et mentionna que ses services avaient arrêté un terroriste.
Selon une note écrite, le coordinateur des services de renseignement d'Arafat alla rendre visite au terroriste dans sa cellule peu après, il lui rendit sa ceinture d'explosifs et lui indiqua le lieu et la date de sa mission : Jérusalem, le 21 mars 2002.
Les officiers de liaison survivants furent récompensés après l'action. Les Israéliens trouvèrent des listes de noms, suivis des indications, toujours dans les mêmes termes : « SVP, transférez la somme de 2000 dollars à chacun des frères d'armes suivants ». L'homme à qui est adressée cette demande est Yasser Arafat. Les Israéliens affirment avoir identifié sa signature sur ces documents.
Pratiquement chaque fois, disent-ils, Arafat a réduit sévèrement le montant de la somme. Ainsi peut-on dire que la rigueur budgétaire est un principe qui s'applique également à l'administration d'une machine à tuer.
Les salaires des meurtriers étaient payés sur des comptes sur lesquels l'Union européenne faisait des dépôts
Les Israéliens ont trouvé des documents bancaires indiquant qu'après une cascade de transferts, les salaires des meurtriers étaient payés sur des comptes sur lesquels l'Union européenne faisait des dépôts. Une preuve qui indique une direction infiniment déplaisante. Mais pas assez, toutefois, pour prouver que le prix du sang est réellement sorti des fonds de développement versés par Bruxelles. C'est pourquoi il est si important de définir jusqu'à quel point les découvertes que les Israéliens ont faites sont fiables. Après tout, les services secrets israéliens ont été partie prenante dans l'évaluation de ce matériel. Et l'intérêt politique du Premier ministre Ariel Sharon, qui n'est pas lui-même un pacifiste manifeste, est d'une totale clarté : Arafat doit partir. Alors, est-ce de l'information ou de la propagande ?
Le rapport d'un expert : « il n'est pas réaliste de penser que la destination des fonds de l'UE est à 100% celle qui est prévue »
Depuis la découverte de ces dossiers, cette question est posée par pratiquement chacun des gouvernements occidentaux, y compris le gouvernement alleman . Il a demandé à ses propres spécialistes des Renseignements (le BND) d'examiner les documents. A la mi-avril, le BND a soumis les conclusions de son premier expert. Il concluait que les documents étaient authentiques et ses conclusions s'accordaient avec les conclusions israéliennes. Toutefois l'implication personnelle d'Arafat ne relevait que de preuves circonstancielles, qui n'auraient pas pu être utilisées comme preuve devant un tribunal. Le 2 mai 2002, le BND livra les conclusions d'un autre de ses experts (ref. : 39C-04/2/02). Il arriva aux mêmes résultats. Bien que les premiers documents fournis par les Israéliens ne contiennent aucune « preuve directe » de l'utilisation abusive des fonds de l'UE pour financer le terrorisme, il était « visible qu' Arafat ne fait aucune distinction entre la structure de l'Autorité palestinienne et celle de son propre mouvement le Fatah. » Pour cette raison, l'hypothèse du détournement des fonds de développement « ne peut pas être écartée », écrit le rapport. L'expert parle de « mauvaise gestion » et de « corruption généralisée » et il arrive à la conclusion suivante : « il n'est pas réaliste de penser que la destination des fonds de l'UE est à 100% celle qui est prévue ».
L'auteur cite aussi des exemples : Arafat a, apparemment, joué sur l'échange de devises pour remplir ses propres coffres de façon illicite ; l'UE paie les salaires des médecins, instituteurs et policiers en dollars : Arafat encaisse l'argent en shekels (la monnaie israélienne) non sans avoir déduit au passage une commission de 25% pour son propre compte ; les fonctionnaires ont eu à payer un impôt supplémentaire de 3,7% à un percepteur, mais cette taxe n'apparaît sur aucune feuille de paie et n'est mentionnée nulle part comme taxe additionnelle.
La question qui se pose est comment le BND peut avoir eu connaissance de tels détails. Les murs palestiniens ont-ils des oreilles connectées au net ? En un mot, la réponse est oui. En plus de mots, elle nous ramène au programme de soutien européen d'Arafat, dans lequel le BND lui-même a été impliqué pendant des années, sans que le grand public allemand n'en entende parler.
Selon les informations de « Die Zeit », le BND entraîne et équipe les services de renseignement d'Arafat dans la bande de Gaza depuis les accords d'Oslo en 1993. Les nouveaux services de sécurité avaient besoin d'aide pour une tâche en particulier qui était la lutte anti-terroriste. Maintenant, le gouvernement allemand est confronté avec la douloureuse question de savoir si les protégés du BND ont redéfini leur mission, et donc si un groupe anti-terroriste a été transformé en organisation terroriste.
Le BND a officiellement terminé sa collaboration avec les Palestiniens à la fin de 2000, aussi discrètement qu'elle avait commencé. Les officiels en charge du Renseignement doivent avoir eu vent de la ré-orientation interne de leurs protégés. Qu'a rapporté le BND au gouvernement sur ce sujet ? Et quelles conclusions en a tiré le gouvernement fédéral ?
En Allemagne, le débat public sur la question de savoir si les contribuables allemands ont, par inadvertance, financé l'assassinat de civils israéliens risque d'être explosif
Des membres du Bundestag demandent avec insistance des explications depuis des semaines, maintenant. Le 5 avril 2002, Friedbert Pfluger, Président de la commission Europe du Bundestag s'est adressé à Joschka Fischer, demandant que le ministre des Affaires étrangères ordonne un examen des pièces saisies par les Israéliens. « Si elles sont authentiques », écrit le député CDU, « alors l'Allemagne et l'Union européenne ne doivent plus soutenir l'Autorité palestinienne comme elles l'ont fait dans le passé. » Depuis, la preuve de l'authenticité des documents a été faite, mais le débat continue. Pourquoi pas ?
Le Ministre des Affaires étrangères, Joschka Fischer, préfère régler les crises calmement. Il y a deux semaines, sans tambour ni trompette, il a envoyé dans les Territoires palestiniens une équipe d'enquêteurs. Fischer est conscient que le débat public sur la question de savoir si les contribuables allemands ont, par inadvertance, financé l'assassinat de civils israéliens risque d'être explosif. En même temps, il ne peut pas être évité. L'examen de cette question doit être public et transparent, comme le député Pfluger l'a exigé. Parce qu'elle aura des conséquences sur la conception que les Allemands se font de leur propre classe politique.
À la conférence de Valence, en avril 2002, un ministre de l'Autorité palestinienne demandait à la Commission européenne une aide de 40,6 millions de dollars pour aider les familles des « martyrs »
Jusqu'ici, les politiciens européens ont refusé avec constance de voir les preuves que leurs fonds ont été mal utilisés. Initialement, en 1994, ils étaient, sur cet aspect, en bonne compagnie. Parce que les Israéliens et les Américains faisaient pareil. Ils fermaient les yeux sur les budgets fantômes d'Arafat, dans l'espoir qu'ils en seraient récompensés par la paix. C'est pour cette raison que les Israéliens n'ont même pas réagi quand Arafat a armé sa police, en violation flagrante des articles du traité. C'est seulement après que ses compagnons se soient tournés vers le terrorisme qu'ils ont tiré la sonnette d'alarme. Mais l'Europe n'écoute pas.
L'Union Européenne est fière de sa politique équilibrée entre les Israéliens et les Palestiniens. Mais alors qu'elle met en accusation le Premier ministre Ariel Sharon pour sa politique d'occupation, pour la construction d'implantations et pour sa réticence vis-à-vis de la paix, ils veulent ignorer ce que fait Yasser Arafat. Pour certains, l'effondrement d'une figure symbolique de la gauche est inacceptable alors que, pour d'autres, on ne doit pas laisser filer le dernier partenaire possible pour la paix. Le résultat final de cette politique est que l'on refuse de fournir des pièces détachées pour ses tanks à Israël et, en même temps, les mêmes refusent de reconsidérer les aides budgétaires à Arafat.
Il est probable que ce qui sera affirmé dans les semaines à venir est que nous ne pouvions pas savoir ce qui se passait. Mais ce n'est pas vrai. Récemment, les Palestiniens eux-mêmes ont informé les Européens de leurs intentions. Le 22 avril 2002, à la Conférence méditerranéenne de Valence, en Espagne, le ministre palestinien Nabil Shaath présenta des demandes d'aides pour un montant de 1,9 milliard de dollars aux membres de la Commission européenne. Selon plusieurs témoins dont les déclarations se recoupent, la liste de Shaath incluait un budget de 20,6 millions de dollars pour des armes et 40,6 millions de dollars pour l'aide aux détenus et aux « familles des martyrs ». Les Palestiniens pensaient sérieusement que les Européens rivaliseraient avec Saddam Hussein et paieraient le prix du sang.
Les diplomates européens rassemblés là ne donnèrent pas l'alarme en voyant cette requête. Ils n'étaient pas furieux, seulement profondément embarrassés. Ils cachèrent la liste dans un coffre-fort. Ils ne voulaient rien en savoir.
Traduction de Liliane MESSIKA pour www.proche-orient.info
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